Après la loi d’orientation agricole, adoptée en février 2025, le projet de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur confirme la volonté du gouvernement de soutenir le modèle agricole productiviste au détriment de l’environnement et de la santé humaine.
Définitivement adoptée en février 2025, la loi d’orientation agricole était un condensé de reculs pour l’écologie. Citons notamment :
- L’article 13 qui dépénalise certaines destructions d’espèces protégées. Pour les atteintes « non-intentionnelles », les sanctions pénales (jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende) sont remplacées par une amende de 450 euros ou un stage de sensibilisation aux enjeux de protection de l’environnement.
- L’article 14 qui simplifie les règles de gestion des haies, en réduisant notamment les sanctions en cas de destruction.
- L’article 15 qui facilite la construction de retenues d’eau (dont les mégabassines) et de bâtiments d’élevage, en réduisant les délais de recours.
- L’instauration d’un principe de « non-régression de la souveraineté alimentaire« , qui vise à contrer celui déjà existant de « non-régression environnementale ».
- L’adoption du principe, cher au syndicat FNSEA, « pas d’interdiction de pesticides sans solution« .
Seule note positive, l’objectif de 21% des surfaces agricoles en bio d’ici à 2030, effacé du texte par la droite sénatoriale, a été rétabli par les députés.
Le projet de loi visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur, porté par Laurent Duplomb, sénateur Les Républicains et ancien président FNSEA de la chambre d’agriculture de Haute-Loire, sera examiné en plénière à l’Assemblée nationale à partir du 26 mai. Sous couvert de simplification administrative et de soutien à la compétitivité, ce texte, présenté comme complémentaire au projet de loi d’orientation agricole porté par le gouvernement, veut notamment « mettre fin aux surtranspositions françaises en matière de produits phytosanitaires« .
- L’article 1er vise à revenir sur trois mesures adoptées dans la loi Egalim d’octobre 2018, dans le but de réduire l’usage des produits phytopharmaceutiques en France : l’interdiction des rabais, remises et ristournes sur la vente de ces produits, l’interdiction du cumul des activités de conseil et de vente de ces produits, et l’obligation de suivre deux sessions de « conseil stratégique phytosanitaire » en cinq ans pour bénéficier du certificat individuel professionnel Certiphyto.
- L’article 2 entend lever une surtransposition fortement décriée au sein du monde agricole, à savoir l’interdiction unilatérale de tous les produits contenant des substances actives appartenant à la famille des néonicotinoïdes, alors même que l’Union européenne propose déjà un cadre harmonisé et contraignant en la matière. Par ailleurs, il vise à permettre au ministre chargé de l’agriculture de suspendre une décision de l’Anses dans certaines conditions. Enfin, il fait le pari de la technologie au service de la sécurité des agriculteurs en autorisant de manière encadrée l’usage de drones pour la pulvérisation de produits phytopharmaceutiques.
- L’article 3 revient sur l’assujettissement de l’élevage à des procédures environnementales un effet de bord issu de la loi « Industrie verte » dans le cadre du régime français des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), une surtransposition supposée de la directive IED sur les émissions industrielles présentée par les filières comme un frein à leur développement et donc, au maintien d’une supposée souveraineté alimentaire.
- L’article 4 vise à mettre en place des modalités effectives de recours en cas de contestation des évaluations des pertes de récolte ou de culture lorsque celles-ci sont fondées sur des indices établis par analyse satellite et non une enquête de terrain. Cette problématique concerne les prairies, pour lesquelles l’évaluation par satellite a pu s’avérer peu fiable, au détriment des agriculteurs touchés par des aléas climatiques.
- L’article 5 aborde la problématique de l’eau en déclarant d’intérêt général majeur les projets de prélèvement et de stockage d’eau, en rehaussant la place de l’agriculture dans la hiérarchie des usages de l’eau ainsi que dans les documents de planification et de gestion de la ressource en eau. En outre, il ajuste la définition de la zone humide, pour tenir compte d’une jurisprudence du Conseil d’État du 22 février 2017.
- L’article 6 vise à encourager la mise en œuvre d’une procédure administrative plutôt que judiciaire, en cas de primo-infraction ou d’infraction ayant causé un faible préjudice environnemental.
Un certain nombre des mesures proposées dans ce texte ont été retoquées par la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale, plus particulièrement celle qui concerne le déploiement des mégabassines (la majorité des députés de la commission ont approuvé l’amendement CD308 posant le principe d’un moratoire sur leur déploiement futur, et ce pour une durée de dix ans) ainsi que la réintroduction en France de l’acétamipride pour certaines cultures (betterave et noisettes par ex.). Cet insecticide de la famille des néonicotinoïdes, utilisé contre certains ravageurs, est surtout connu pour son rôle nocif envers les pollinisateurs. C’est maintenant au tour de la Commission des affaires économiques de s’emparer du texte.
Mais le dernier mot reviendra aux députés qui discuterons du texte à partir du 26 mai.
Dans une lettre ouverte envoyée lundi 5 mai aux ministères de la Santé, de l’Agriculture, du Travail et de la Transition écologique, des milliers de chercheurs et de professionnels de santé expliquent que « les dangers des néonicotinoïdes ont été amplement démontrés, que ce soit sur la biodiversité ou sur la santé« . Pour le président d’Alerte des médecins sur les pesticides, Pierre-Michel Périnaud, « l’expertise collective publiée par l’Inserm en 2021 montre que les pathologies liées à l’exposition aux pesticides augmentent, pour les agriculteurs et leurs enfants notamment pendant la grossesse mais aussi pour l’ensemble de la population« .
Les signataires mettent aussi en garde contre la possible création d’un « comité d’orientation pour la protection des cultures« . En effet, si cette proposition était votée en l’état, cette instance serait chargée de signaler au ministère de l’Agriculture les pesticides pour lesquels il n’y aurait pas d’alternatives et son avis l’emporterait sur celui de l’Anses, agence dont le rôle est d’évaluer la dangerosité de ces produits chimiques et d’autoriser ou non leur mise sur le marché.
Ce projet de loi, dans la droite ligne de la Loi d’orientation agricole déjà adoptée plus tôt cette année, marque un nouveau recul pour la santé publique, pour la protection de l’environnement et celle de la biodiversité.
Il encourage le modèle d’agriculture productiviste en place sans pour autant apporter des solutions aux problèmes de fond qui frappent les agriculteurs·trices : revenus insuffisants, répartition inégalitaire des aides de la PAC et des terres, signature d’accords de libre-échange dévastateurs, absence de politique ambitieuse pour le renouvellement des générations agricoles.
L’association Terre de Liens rappelle que la France ne parvient pas aujourd’hui à nourrir sa propre population, alors qu’elle dispose de suffisamment de terres agricoles. La faute à un système tourné vers la productivité pour l’export, qui met à mal les terres et le vivant. Pour sortir d’une logique court-termiste et productiviste elle appelle
- à réorienter les financements de la PAC pour accompagner la transition agroécologique et mieux rémunérer celles et ceux qui s’y engagent ;
- à sortir de la logique de la compétitivité sur la scène du commerce international, qui pousse à l’agrandissement des exploitations agricoles au détriment de l’emploi et de la biodiversité ;
- à adopter une grande loi foncière qui garantisse un accès équitable à la terre, protège les sols et facilite l’installation à l’heure où les agriculteurs·trices partent massivement à la retraite et où 200 fermes disparaissent chaque semaine.
Le GODS encourage ses adhérents et sympathisants à exprimer leur opposition à ce projet de loi, par exemple en interpellant directement leurs décideurs et décideuses via la plateforme mise en place par l’association génération future : https://www.generations-futures.fr/actualites/loi-duplomb-agriculture/